Montrer la folie du monde

Conversation en tandem avec Marietta Clages (Clages, Cologne) et l'artiste Christian Theiß, menée par Emanuela Mazzonis

Emanuela Mazzonis : Bonjour, Marietta Clages et Christian Theiß. Merci de participer à ce cycle d’entretiens consacré à des galeries qui exposent à la foire pour la première fois. Tout d’abord, je voudrais demander à Marietta de présenter sa galerie, basée à Cologne et fondée en 2008. Le programme de la galerie comprend des artistes internationaux aux approches artistiques différentes allant de la peinture et de la sculpture aux nouveaux médias.

Marietta Clages : Pour Luxembourg Art Week, nous avons conçu une présentation qui se nourrit de la tension entre textures et surfaces contrastées. La galerie présentera trois jeunes artistes : Christian Theiß, qui est à mes côtés, Isabella Fürnkäs et Bradley Davies. Isabella Fürnkäs est basée à Berlin et à Düsseldorf, et Bradley Davies est un artiste anglais qui a étudié avec Michael Krebber à la Städelschule de Francfort et qui est basé à Cologne. Christian Theiß a étudié à Düsseldorf avec Rosemarie Trockel. Je pense qu’il n’y a guère de matériau que Christian Theiß n’ait déjà utilisé dans son travail, qui mélange des formes anciennes pour créer des objets aux significations nouvelles. Les œuvres qu’il présentera comprennent de la céramique, des objets trouvés, du polymère et des composants électriques. Elles associent des matériaux brillants, d’aspect industriel, à une profusion de textures différentes. Concernant Luxembourg Art Week, nous pensons qu’elle peut nous permettre de nouer des contacts avec des jeunes commissaires comme Michelle Cotton, qui travaille pour le Mudam, ou avec le Casino Luxembourg, où Shila Khatami, l’une de nos artistes, a déjà présenté ses œuvres. Nous pensons que le Luxembourg est un endroit très intéressant pour présenter nos positions.

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Christian Theiß

EM : Christian, dans le communiqué de presse de ton exposition à la galerie Clages en septembre 2020, l’écrivain et critique d’art Haris Giannouras emploie le terme « prothèse » pour parler de ton travail, au sens de « procédé qui consiste à compléter et réassembler quelque chose ». Je voudrais aussi m’attarder sur le mot « dispositif », qui est aujourd’hui fréquemment employé pour désigner les appareils technologiques qui peuplent nos vies : smartphones, montres, tablettes, etc. J’aimerais que tu évoques le rôle que joue dans ton travail la pratique « artisanale », au sens d’« artefact », d’objets construits manuellement qui utilisent des formes anciennes pour en créer des nouvelles. Tes objets sont le résultat d’un assemblage d’objets du quotidien qui donne lieu à des compositions et des significations nouvelles. Dans le domaine de l’art, cela nous renvoie à une époque où les processus artistiques étaient plus traditionnels et la dextérité des gestes était un élément intrinsèque du travail artistique.

Christian Theiß : Oui, tout cela fait partie de mon travail. C’est une façon de faire exister des choses afin que d’autres puissent les voir et les ressentir. Bien sûr, j’utilise des téléphones, des écrans et différents appareils technologiques, mais ils ne font pas à proprement parler partie de mon travail, donc ils ne m’intéressent pas d’un point de vue artistique. C’est Marshall McLuhan qui a introduit le terme « prothèse » dans les cultural studies. Il dit que la technologie s’exprime aussi dans les domaines analogiques. Je travaille souvent avec des images de dispositifs technologiques que j’associe à des corps humains, des animaux... pour faire émerger quelque chose de nouveau.

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EM : Un autre élément important dans ton travail est la relation entre la mémoire et le temps – le souvenir d’un temps passé, mais qui fait toujours partie de notre existence, et le temps qui s’écoule vers un avenir incertain. Les titres de tes œuvres sont très évocateurs ; je pense à Lac des Cygnes, L’objet et son ombre, Moment, Partir en cercles... D’une part, ils nous renvoient à notre passé, mais d’autre part, ils nous orientent aussi vers des questions sur l’avenir. Comment vois-tu le rôle de l’art dans un monde où la mémoire du passé et le sentiment du temps qui passe semblent être submergés par le rythme effréné du présent ? Quelle est l’importance du passé pour imaginer et construire notre futur ?

CT : Je pense que cette idée est très importante dans ma démarche artistique, en tant que façon de travailler, d’apprendre de mes erreurs pour ne pas refaire les même erreurs tout le temps. Je pense donc que la structure du temps est très importante. De même, mon processus de travail prend beaucoup de temps. Je dois prendre du recul, je dois réfléchir pour trouver la bonne solution. Parfois, je travaille pendant des années sur une œuvre et parfois plusieurs choses se mettent en place en même temps.

MC : Je pense que par la manière dont Christian assemble des éléments issus de l’histoire de l’art et les recontextualise, il explore un nouveau monde. Et ce monde fantastique qu’il peut contribuer au monde de l’art est très pertinent. Je pense qu’il est toujours fascinant de voir l’émerveillement que l’art peut produire chez le spectateur.

CT : C’est ce à quoi j’aspire. Je veux toucher le sentiment humain. Ce n’est pas un travail sur les machines. Il ne s’agit pas seulement du contexte temporel – j’essaie de créer des œuvres qui peuvent être vues à différentes époques, dans différents contextes. Il n’y est pas seulement question du présent ; c’est aussi une vision du futur, du passé.

EM : Je pense aussi que comme tu utilises des matériaux et éléments qui font partie de notre quotidien, nous pouvons reconnaître la signification de l’objet, mais celui- ci a été recontextualisé dans ton œuvre pour acquérir une nouvelle vie.

MC : Et le travail de Christian reflète toujours la folie de ce monde. Rien n’est sûr, rien n’est stable, tout est très fragile. Et cette fragilité est également présente dans son travail.

EM : Je pense qu’il est très important, en tant que spectateur, de mélanger ces différents niveaux de temps afin d’entrer en relation avec ton travail. Je crois aussi que ce qui est très important dans ton travail, c’est l’espace qui entoure l’œuvre.

MC : Quand Christian assemble ou développe une œuvre, il se concentre vraiment sur le monde entier : la nature, les animaux, les matériaux technologiques de la vie quotidienne. Et il est capable de rendre tout cela visible et de montrer dans quel genre de monde nous vivons. Mais sans admonestation du genre « ne faites pas ceci ou cela ». Il ne critique pas.

EM : Pas de jugement, en effet.

MC : Oui, pas de jugement. Exactement.

EM : Tout à fait. C'est tout à fait vrai. Pouvez-vous nous dire ce qui sera présenté au salon ? Non, ce sera une surprise, je crois...

MC : Oui. Bien sûr, nous n'en dirons pas trop, mais il y aura une énorme exposition que Christian développera. Mais, bien sûr, nous montrerons des peintures de Bradley Davis, des dessins d'Isabella Fürnkäs. Et sur cette exposition que Christian développera, il y aura des céramiques, que vous pouvez voir ici. L'exposition ira dans ce sens. Mais nous y travaillons en ce moment même.

EM : Fantastique.