Atelier Van Lieshout : en route vers l’ailleurs

Parcours de sculptures : The Rebellion par Atelier Van Lieshout (21 oct. - 23 nov. 2023)

Installé à Rotterdam dans l’atelier qu’il a fondé en 1995 et qui porte depuis son nom, Joep van Lieshout est le parfait antidote au politiquement correct. N’en déplaise aux esprits étriqués qui veulent tout compartimenter, l’inclassable artiste néerlandais repousse toujours plus loin les limites de la bienséance et les frontières entre les disciplines. Oscillant entre sculpture, architecture, design et performance, ses productions hybrides résultent d’un travail collectif associant designers, métallurgistes, artisans ; ses installations sont aménageables, habitables parfois, le plus souvent manipulables. Longtemps disqualifiée au profit de l’œil, la fonction tactile se voit en retour réhabilitée. Rarement le public aura été invité à devenir autant acteur de ce qui lui est présenté.


Orifices béants, formes phalliques, positions suggestives : Joep van Lieshout investit comme nul autre les puissances subversives de l’érotisme. Shocking ! On se souvient ainsi de la polémique suscitée en 2017 par son Domestikator (2015), monumentale sculpture montrant deux figures en plein accouplement, que la direction du Louvre avait refusé d’exposer au Jardin des Tuileries. Jusqu’au jour où, en guise de compensation, l’œuvre est finalement installée sur le parvis du Centre Pompidou à l’occasion de la Foire internationale d’art contemporain de Paris (FIAC). Quand il ne capte pas les forces antagonistes engagées dans un monde continuellement en lutte, Joep van Lieshout donne vie à des alternatives utopiques. Celles-ci peuvent prendre la forme imprévisible d’un voyage vers l’inconnu, peuplé d’étranges objets et de machines ingénieuses, ou d’une transgression en actes débordant le strict périmètre de l’art pour investir le champ de la politique, comme lorsqu’il proclame en 2001 la constitution d’une cité indépendante sur les berges du port de Rotterdam (AVL-Ville), avec sa monnaie, ses règles de vie, son drapeau. Nul doute que l’aura sulfureuse qui entoure le sculpteur hollandais apportera un éclairage éclatant à cette 9e édition de Luxembourg Art Week !

Du 21 octobre, en avant-première de la foire, au 23 novembre 2023, la ville de Luxembourg accueillera un ensemble de sculptures récentes provenant de l’Atelier Van Lieshout (AVL). Un événement d’ampleur spécialement conçu pour le Grand-Duché et les sites emblématiques de la capitale. Ce sera l’occasion d’admirer l’épreuve déformante que peut subir une voiture au contact de la Drop Hammer House, un vaste pressoir mécanique dont se sert Atelier Van Lieshout pour réduire en miettes tout objet affichant (un peu trop) le lustre de la nouveauté. Avec cet immense cadavre de voiture intitulé Volvo (2020), situé sur le rond-point Robert Schuman, le cycle de la production et de la consommation tourne à vide, s’épuise... Les forces de création et de destruction s’agrègent, prises au sein d’un même geste, nous rappelant combien Joep van Lieshout est un artiste qui aime jouer des contrastes et des contraires. Désacralisant le statut de l’artiste aussi bien que son implication dans le processus de production, l’œuvre ici créée/détruite procède entièrement d’une impérieuse mécanique d’anéantissement. Comment ne pas reconnaître, enfin, dans cette carcasse suspendue à la verticale une scène de crucifixion de notre temps, sinon un hommage conjoint à César et à Francis Bacon ? 

Autre surprise de cette exposition publique, la gigantesque baleine d’acier (The Whale, 2022) échouée sur le site du Musée Dräi Eechelen, allusion au Livre de Jonas aussi bien qu’à Moby Dick (1851) de Herman Melville, où l’humain et l’animal mènent une âpre bataille. Les parois rouillées et cabossées de l’immense cétacé attestent des épreuves terribles qu’il a traversées pour parvenir jusqu’à nous – sa présence même relèverait ainsi du miracle. Ironie du sort : face au désastre écologique qui sévit au-dehors, c’est le corps de la baleine qui devient pour l’humain un abri de fortune, comme celui que Jonas investit pour éviter la tempête divine… L’allégorie religieuse se poursuit jusque dans les œuvres suivantes du parcours.

Sur la place de Metz, deux sculptures issues de la série New Tribal Labyrinth livrent des scènes de cruauté qui confondent l’humain et l’animal. Dans The Equestrian (2015), l’héroïsme militaire propre à la statuaire équestre se voit démystifié à la faveur d’un déferlement de violence toute prosaïque : alors qu’un personnage, éventré, gît déjà au sol, un autre est assailli par le cavalier et son cheval. Non loin de là, et toujours dans le but de destituer la violence de son aura sacrée, se trouve l’image d’une mère qui protège son enfant d’une menace imminente et anonyme Mother with Child (2010). Plus intime est la dernière sculpture en bronze de cet ensemble : un autoportrait de Joep van Lieshout en vieil homme tenace face à l’adversité. En dépit de la fatigue et de son âge avancé, il poursuit de toutes ses forces son chemin solitaire, soutenu par une canne éclairant le monde à la façon d’une lanterne (Old Man, 2018). Ces trois sculptures font partie du groupe The Monument.

Plus avant, le parvis de la cathédrale Notre-Dame de Luxembourg est l’écrin idéal pour accueillir une Cène (Last Supper, 2020), moment de communion ultime au cours duquel Jésus annonce sa mort prochaine. L’épisode, particulièrement émouvant, est perçu ici à travers une structure puissante qui vient au-devant du regardeur, une cage qui dit déjà la fatalité du drame qui se déploie. Le Christ et les apôtres en sont les valeureux captifs, quoique pris dans des formes molles, liquides, phalliques, qui opposent à la ferme rectitude de la cage des valeurs régénératrices. Au Centre Jean XXIII, rue Jules Wilhelm, s’élance un Waterwagon (2007) tout droit sorti de l’enfer de Slave City. Dans cette ville autarcique et cannibale qui tourne à « plein régime », ne connaissant ni la faim, ni le chômage ou la maladie, tout se recycle et possède une valeur d’usage, à commencer par les êtres humains : entièrement blancs, dépourvus de visages, impersonnels et donc interchangeables, ce sont des esclaves qui tractent de tout leur corps une citerne pour alimenter la ville en eau. Une fiction dystopique qui résonne avec les tragédies marquantes du XXe siècle.

La production protéiforme de Joep van Lieshout se confronte aux grands défis de notre monde, tels que la guerre, l’effondrement climatique, les aspirations à un mode de vie alternatif. Elle franchit allègrement les frontières d’espèce à l’ère du transhumanisme et capture des moments intenses, provisoires, toujours sur le point de basculer, hésitant entre apogée et déclin, existence et disparition. Ses œuvres ont fait l’objet de nombreuses expositions internationales et ont intégré les collections permanentes de nombreuses institutions privées et publiques de renom, parmi lesquelles le MoMA (New York), le Centre Pompidou (Paris), le Stedelijk Museum Amsterdam, le Ludwig Forum Aachen (Aix-la-Chapelle) et la Fondazione Prada (Milan). Récemment encore, des réalisations d’Atelier Van Lieshout figuraient dans l’exposition Les Portes du possible. Art et science-fiction au Centre Pompidou-Metz (du 5 novembre 2022 au 10 avril 2023).

Last Supper, 2020 
Parvis de la Cathédrale Notre-Dame de Luxembourg
At the crossroads between rue de l’Ancien Athénée L- 1143 
and boulevard Franklin D. Roosevelt L-2450 Luxembourg
 

The Monument 
Place de Metz
L-1930 Luxembourg


The Whale, 2022 
Musée Dräi Eechelen
5 Park Dräi Eechelen L-1499 Luxembourg


Volvo, 2020.
Rond point Robert Schuman
L-2525 Luxembourg


Waterwagon, 2007 
Centre Jean XXIII, 52 rue Jules Wilhelm
L-2728 Luxembourg

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