Luxembourg Art Week, catalyseur annuel de la scène luxembourgeoise

Bernard Marcelis

S’appuyer sur un environnement culturel ambitieux

Outre un contexte financier et économique favorable aux mondes des affaires et des entreprises – y compris celui de niches tel le marché de l’art contemporain – un des principaux atouts de la scène luxembourgeoise est de proposer, défendre et donc stimuler un art d’aujourd’hui qui est contemporain de l’éclosion de cette scène dans la sphère européenne. La préfiguration, puis la concrétisation du Mudam, la naissance du Casino Luxembourg – Forum d’art contemporain en 1996 sous l’impulsion d’Enrico Lunghi – qui deviendra ensuite directeur du Mudam – et la programmation éclectique du Musée National d’Histoire et d’Art (MNHA) ont dressé un paysage institutionnel composite, devenu depuis une référence en Europe.

On mentionnera également la création récente de la Konschthal à Esch-sur-Alzette – dans le contexte du statut de la ville comme Capitale européenne de la culture en 2022 –, au programme lui aussi d’envergure internationale, sans pour autant omettre les artistes luxembourgeois. Cet élargissement culturel géographique en dehors de la capitale n’est pas à négliger, tout comme, depuis quelques années, la présence « officielle » de la création photographique luxembourgeoise aux célèbres Rencontres d’Arles (statut que la Belgique n’a jamais réussi, ou plutôt réellement voulu, obtenir, par exemple). L’existence, depuis 2006 maintenant, du Mois européen de la photographie sur l’ensemble du territoire du Grand-Duché contribue elle aussi à la renommée internationale du pays. Cette renommée s’est bâtie petit à petit dès la fin du siècle dernier avec la nomination de Luxembourg comme Capitale européenne de la culture en 1995, tout comme avec l’édition de la biennale européenne Manifesta 2, qui s’est tenue trois ans plus tard. Le pays participe aussi à la Biennale de Venise, d’abord de façon quelque peu confidentielle en centre-ville, ce qui n’empêche pas Su-Mei Tse de remporter le Lion d’or du meilleur pavillon en 2003. Depuis son installation en 2019 sur le site historique des Sale d’Armi, au cœur même de l’Arsenale, l’autre lieu incontournable du rendez-vous vénitien avec les Giardini, le pavillon a vu sa lisibilité accrue et sa fréquentation décuplée.

Dans le privé, les galeries ne sont pas en reste, avec l’activité de pionniers comme Beaumont, Clairefontaine, Lucien Schweitzer ou Erna Hecey (et l’implantation pendant plusieurs années de celle-ci à Bruxelles), la montée en puissance de galeries telles Nosbaum Reding ou Zidoun-Bossuyt, l’arrivée de l’enseigne française Bernard Ceysson en centre-ville d’abord, son établissement à proximité de la frontière belge ensuite sous la dénomination Ceysson & Bénétière, désormais le navire amiral de ses adresses européennes avec des expositions d’envergure muséographique. Toutes défendent un programme de haut niveau, ce qui permet aux artistes luxembourgeois qu’elles représentent de se confronter aux artistes de renommée internationale. Ces programmes leur ouvrent la porte aux prestigieuses foires internationales d’art contemporain et leur permettent d’établir ainsi des ponts avec la scène que l’on évitera de qualifier de locale, vu la situation du pays au carrefour des grands flux européens.

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Galerie F. Hessler, Luxembourg Art Week 2019 © Sophie Margue

Un développement constant

C’est dans ce contexte culturel favorable – tant dans la programmation nationale et internationale des institutions qu’en ce qui concerne la présence des galeries sur la scène européenne – qu’Alex Reding lance, en 2015, la première édition d’une foire d’art contemporain dans la Halle Victor Hugo. La manifestation est alors jumelée avec le Salon annuel du CAL (Cercle Artistique de Luxembourg) et ne compte qu’une vingtaine de galeries, essentiellement luxembourgeoises. Leur nombre a quadruplé aujourd’hui et, surtout, la foire s’est internationalisée, afin d’hausser son niveau et de prendre petit à petit sa place dans ce calendrier particulier. Dès la deuxième édition en 2016, un programme VIP – désormais indispensable pour ce type d’événement – est mis sur pied. En même temps, comme dans un souci d’équilibre, la section Take Off voit le jour, avec le soutien – et c’est à souligner – du Ministère de la Culture. Cette section est consacrée aux galeries considérées comme émergentes, mais aussi à diverses associations artistiques ou institutions situées au Luxembourg ou dans la Grande Région (Sarre et Rhénanie- Palatinat, en Allemagne, Grand Est de la France et la Province du Luxembourg belge). Les propositions s’en trouvent élargies et permettent de toucher un plus vaste public. La troisième édition, celle de 2017, passe un cap important avec une cinquantaine d’exposants et plus de 12 500 visiteurs, toujours en l’espace de trois jours et demi. Ce succès populaire assied définitivement la foire dans l’agenda culturel au Luxembourg et même au-delà.

En 2019, l’extension des surfaces d’exposition permet d’accroître l’offre, qui s’étoffe désormais à 65 galeries. En 2020, malgré l’annulation en présentiel suite à la crise du Covid, la foire réussit à tirer son épingle du jeu grâce à l’élaboration d’une visite virtuelle en 3D qui reste une référence dans le domaine.

Le changement d’échelle s’opère en 2021, avec un court déménagement pourtant synonyme d’un nouvel élan. La foire se tient désormais sur l’immense Champ du Glacis, un carrefour stratégique entre la vieille ville et le quartier du Kirchberg et ses emblématiques lieux culturels que sont le Mudam et la Philharmonie. Le passant ne peut échapper à la structure architecturale de cette vaste tente blanche qui abrite dorénavant la foire, dans un confort inégalé jusqu’à présent, tant pour les visiteurs que pour les exposants, et dans une atmosphère conviviale prisée. Ce nouvel espace d’exposition s’étend sur plus de 5 000 m2 et accueille maintenant plus de 80 galeries, institutions et collectifs d’artistes, tant luxembourgeois qu’internationaux.

Vu le succès de cette édition – 15 000 visiteurs s’y sont pressés – l’actuelle huitième édition capitalise sur ces mêmes bases. La foire s’est encore un peu plus internationalisée – même si tous les principaux acteurs privés et institutionnels luxembourgeois sont toujours bien présents alors qu’ils ne représentent plus que 15 % des participants. Cette réduction inéluctable va de pair avec une professionnalisation tout aussi inéluctable des exposants sélectionnés. Autrement dit, cette année on compte 37,5 % de nouvelles participations. Cela n’empêche pas, bien entendu, que les piliers de la manifestation figurent toujours au générique, qu’il s’agisse des Luxembourgeois ou assimilés (Ceysson & Bénétière, Zidoun-Bossuyt, Valerius Gallery, Nosbaum Reding), des Français (Lelong & Co., Laurent Godin, Eva Meyer, Modulab) ou des Belges (La Patinoire Royale/Galerie Valérie Bach, Schönfeld Gallery, Maurice Verbaet, Nadja Vilenne et Maruani Mercier, dont il s’agit de la deuxième participation). Parmi les entrants qui donnent du poids à la manifestation, citons les galeries Backs\ash (Paris), Romero Paprocki (Paris) ou Nathalie Obadia (Paris/Bruxelles), Gandy gallery (Bratislava), Heike Strelow (Francfort), Lage Egal (Berlin), Zwart Huis (Bruxelles) et Montoro12 (Bruxelles/Rome), entre autres.


Petra Rinck Galerie, Luxembourg Art Week 2019 © Sophie Margue
Petra Rinck Galerie, Luxembourg Art Week 2019 © Sophie Margue

Un positionnement international

Ce positionnement international à consonance européenne constitue de plus en plus l’ADN de cette (encore) jeune manifestation. Elle s’affirme peu à peu comme la première des foires périphériques par rapport à celles de ses voisines historiques comme Bruxelles (Art Brussels), Cologne (Art Cologne), Düsseldorf (Art Düsseldorf ), Genève (ArtGeneva), par exemple. On ne joue évidemment pas ici dans la même catégorie que celles de Bâle (Art Basel) ou Paris (Paris+ qui succède à la Fiac). Le fait de miser sur l’effet Grande Région aura très rapidement permis à la foire de s’ancrer dans le paysage international et de ne pas se contenter d’être un rendez-vous régional, à l’instar de celles de Strasbourg (pourtant elle aussi une des trois capitales européennes officielles) ou de Lille, pour se limiter à la France.

Le principe des foires actuelles est de disposer d’une courte temporalité pour concentrer ses énergies, susciter des rencontres, développer un côté plus festif, à l’opposé du temps long de la programmation des expositions des musées ou d’autres institutions assimilées. Si les deux ne fonctionnent pas de la même façon, leurs démarches sont complémentaires et contribuent à l’identité et à la réputation culturelles d’une ville, quelle que soit son échelle. C’est manifestement ce qui a été bien compris au Luxembourg, ce qui permet au fondateur de Luxembourg Art Week, Alex Reding, de considérer cette foire comme « une plateforme de mise en contact avec le réseau institutionnel de la ville et du pays ». Et, pour en revenir aux préliminaires de cet article, que la place luxembourgeoise constitue « un marché de l’art certes restreint, mais au pouvoir d’achat assez conséquent ». Les collectionneurs locaux, de plus en plus nombreux, tout comme plusieurs firmes privées dotées de collections d’entreprises, sans oublier les visiteurs étrangers, sont bien présents pour l’attester et assurer la pérennité de l’évènement.