Avec Capsules, Luxembourg Art Week investit des espaces vacants, des vitrines ou des facades du centre-ville. Chaque espace activé sera visible depuis la rue 24/24, 7/7.
Capsules bénéficie du généreux soutien de la Ville de Luxembourg.
Corentin Darré
Chagrin
Adresse
Centre Brasseur
36-38, Grand-Rue, L-1660 Luxembourg
Art Walk Challenge
Avec le soutien de Fischbach
Le point de départ de Chagrin est une nouvelle écrite par l’artiste, Avant que les champs ne brûlent, dans laquelle il imagine l’histoire d’un couple homosexuel injustement accusé d’être responsable d’une sécheresse. S’inspirant de multiples références cinématographiques — les westerns futuristes Interstellar (Christopher Nolan, 2014) ou la série Westworld —, le village qu’il dépeint, au milieu des champs de maïs, devient le théâtre contemporain d’une violence et d’un deuil mêlant homicide et écocide.
Dans Je brûle pour toi (2024) et À tes risques et périls (2024), il recompose, par fragments, les éléments du décor : les façades des maisons en bois patiné, l’enseigne du bar, l’interphone et la boîte aux lettres, dans lesquels il dissémine des messages de menace ou d’amour. Il mêle ainsi l’esthétique des slashers américains des années 1990 à l’atmosphère mièvre des romans à l’eau de rose, construisant la tension dramatique par paliers.
Au fil de toiles marquetées, de petites fenêtres ou entre les planches d’une grange (Première poignée de terre, 2024), on entrevoit des séquences de la vie des deux amants : étreinte, sommeil, agression, déchirure et funérailles. À travers ces brèves apparitions, l’artiste interroge le voyeurisme à l’œuvre dans l’expérience du regard, questionnant la relation cathartique entre spectateur et image.
L’esthétique photographique, héritée du jeu vidéo, fige les représentations dans des postures parfois théâtralisées, volontairement exagérées : la main sur le chapeau du cow-boy solitaire, ou l’ombre des accusateurs brandissant leurs fourches (La mort est dans le pré, 2024). Vernies de résine, appliquée sur les toiles comme un écran, les œuvres se parent d’une texture lisse et brillante, évoquant l’image numérique. Cette matière, tout en ajoutant une dimension tactile et érotique, joue sur l’idée d’une image figée dans un état de désir et de secret.
En mobilisant la figure du cow-boy, Darré propose une lecture queer de la cosmogonie hollywoodienne, à la manière de Le Secret de Brokeback Mountain (Ang Lee, 2005) ou de Lonesome Cowboys (Andy Warhol, 1968) — récits de désirs et d’interdits, tragiques ou parodiques. En revisitant ce personnage symbolique et hétéronormé sous la forme d’un fétiche gay, il interroge la présence des corps minorisés dans les espaces ruraux et explore une dimension sociale et politique white trash. Ainsi, Corentin Darré nous invite à pénétrer le territoire de la fiction, offrant une expérience des coulisses.
Anne Vimeux and Elise Poitevin, 2024
À partir d’un travail d’écriture, de contes ou de courtes histoires, Corentin Darré (1996, France) fabrique des installations qui matérialisent un schéma actantiel au sein de l’exposition. Ses oeuvres sculpturales prennent la forme d’éléments architecturaux — cabane, ponton, façade — comme des espaces échappés de la fiction. Au sein de ces fragments, il insère des images, fixes ou en mouvement, des mots, des objets: des items qui indiquent la trame narrative qui se joue, font office de boussole, de repère et accompagnent læ visiteur.ice. Corentin Darré détourne les légendes et les figures qui construisent l’imaginaire collectif et en inversant la destination de leur avertissement moral, il invente de nouvelles représentations mythiques et questionne les attitudes du monde face à l’altérité. Il raconte les histoires de celles et ceux que l’on a accusé·es, traqué·es et condamné·es : des homosexuels, des queer, des êtres marginalisés. Il détourne les mythes, renverse les morales dominantes et transforme les malédictions en miroirs des violences sociales. Le monstre, dans ses récits, est celui que le rejet a créé, celui qui, à force de coups et d’insultes, s’est vu contraint à l’errance. Entre tragédie et résistance, ses œuvres tissent de nouvelles mythologies où le queer devient central, prenant place dans les replis d’un imaginaire collectif longtemps hostile.
Interview de Corentin Darré
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