Cette interview a été réalisée par Livia Klein.
Vous présentez votre travail dans le cadre de Capsules à Luxembourg Art Week. Pouvez-vous commencer par nous parler un peu du projet et de sa genèse ?
Ce projet, Murmuration, prolonge deux œuvres précédentes : Souffle et Incantations. La première, Souffle, a été présentée à la Chapelle du Grand Hospice à Bruxelles en 2024, en collaboration avec le saxophoniste Johannes Eimermacher. L’œuvre explorait le thème du souffle. La seconde, Incantations, a été montrée au CWB à Paris lors du festival ((Interférence-s)) en 2024. Ces pièces étaient plus protéiformes, combinant du verre filé, des matériaux souples et des enregistrements de terrain. L’installation incluait également un moment performatif en collaboration avec Florence Cats au thérémine.
Comment ces deux projets antérieurs ont-ils influencé Murmuration ? L’avez-vous envisagé comme une continuité de leurs idées ou comme un départ vers quelque chose de nouveau ?
Murmuration a été présentée pour la première fois à la Fondation BLAN dans le cadre du programme Art Brussels OFF en 2025. L’installation a été conçue spécifiquement pour cet espace. Le titre Murmuration fait référence aux formes mouvantes créées par les vols d’oiseaux en essaim. La multiplicité des éléments permet différentes associations et lectures selon le point de vue du spectateur. L’œuvre a été conçue comme un paysage atmosphérique et onirique, situé quelque part entre réalité et rêverie, peuplé de créatures hybrides suspendues flottant dans l’air.
Comment le contexte d’exposition dans Capsules, une vitrine, résonne-t-il avec votre pratique ?
Présenter ce projet dans un espace vitrine était un défi, puisque l’installation originale avait été conçue pour un environnement plus vaste, où les visiteurs pouvaient circuler autour et même à travers elle. Ce que je montre ici est un extrait de Murmuration. Pour la version présentée à Luxembourg Art Week, j’ai particulièrement travaillé sur la densité des éléments. Fait intéressant, la vitrine Capsules offre en réalité deux fenêtres distinctes, permettant deux angles de vue privilégiés.
Travailler dans ce format plus condensé a-t-il modifié la présence des matériaux pour vous ?
J’aime appeler les matériaux que j’utilise « matériaux souples » — un terme qui renvoie à ma formation initiale dans le textile. En général, j’aime les combiner avec des matériaux ou objets du quotidien plus inhabituels. Ce principe d’hybridation permet de faire émerger de nouveaux sens selon les combinaisons. Le verre est une passion particulière pour moi. C’est un matériau fascinant — flexible lorsqu’il est travaillé à chaud et fragile mais résilient une fois refroidi.
Comment est née votre fascination pour le verre ? L’avez-vous découverte par expérimentation ou lors d’un projet spécifique ?
J’ai abordé cette technique unique pour la première fois lors d’une résidence à la Fondation d’entreprise Martell, où j’ai collaboré avec un souffleur de verre. Depuis, j’ai continué à travailler avec les filaments de verre, que j’ai utilisés de manière extensive dans mes projets récents.
Vous semblez apprécier travailler avec des matériaux partiellement transparents — il y a toujours quelque chose de mi-révélé, mi-caché. Qu’est-ce qui vous attire dans cela ?
Je suis très attiré par l’idée que tout ne doit pas être entièrement visible. J’aime que la lecture d’une œuvre laisse place au mystère et à l’étrangeté. Lorsque ce sentiment d’ambiguïté émerge, la réflexion et la remise en question commencent.
Vos installations semblent inviter à une certaine lenteur, presque à un moment pour respirer et observer de plus près. Est-ce que cette notion du temps et de la quiétude est quelque chose à laquelle vous pensez en travaillant ?
Oui, absolument. Mes installations invitent à la fois au relâchement et à l’attention — à prendre le temps, à observer les détails. Cette dimension était déjà centrale dans Origines au CACLB. L’œuvre était en relation directe avec le paysage environnant, la lumière changeante et l’environnement sonore. Chaque instant, chaque variation de lumière transformait la perception de l’installation. Ce n’est qu’en prenant le temps qu’on pouvait en percevoir toutes les nuances. Dans la première présentation de Murmuration, le spectateur devenait une partie intégrante de l’œuvre. Chaque mouvement dans l’espace provoquait de subtiles réactions — les éléments suspendus répondaient presque imperceptiblement. Ces micro-mouvements créaient un état contemplatif et hypnotique, menant le spectateur vers des espaces intérieurs, intimes, loin du tumulte du monde.
Il y a aussi une forme d’intimité dans vos installations, presque domestique parfois. Voyez-vous ce lien avec le corps ou l’espace du quotidien comme intentionnel ?
Dans la première présentation de Murmuration, l’idée était précisément que les visiteurs puissent se promener autour et à travers l’installation, parfois très près des pièces. J’avais également invité une performeuse à évoluer dans l’installation, sifflant, murmurant et chuchotant parmi les visiteurs, en résonance avec l’œuvre. Une certaine ambiguïté s’est installée, car elle n’était pas immédiatement identifiable comme performeuse. Cette proximité entre les œuvres, la performeuse et les visiteurs a créé une atmosphère feutrée, intime et énigmatique.
J’ai le sentiment que votre pratique tourne souvent autour de gestes de soin, de réparation et de transformation. Comment cette sensibilité est-elle apparue dans votre travail ?
Je ne saurais pas dire exactement comment cette sensibilité est apparue, mais il est clair que cette dimension est présente dans mon travail…
Ce sens du soin semble aller au-delà de la matière elle-même. Comment pensez-vous la réparation ou la guérison dans votre travail, non seulement sur un plan matériel, mais aussi émotionnel ou social ?
Lors d’une prochaine exposition en 2026, qui se tiendra dans une chapelle en France, je compte me concentrer précisément sur cette notion. Une chapelle est un lieu inhabituel pour accueillir une installation d’art contemporain, et je souhaite explorer ce contexte particulier, notamment le lien entre l’invocation et le désir de guérison. L’idée d’un bestiaire sera le point de départ, avec des créatures situées entre l’animal et le végétal, l’humain et le non-humain. Je veux explorer la fragilité du vivant et de l’écosystème en m’éloignant d’une perspective strictement anthropocentrique. Le travail examinera notre rapport à l’écologie et au vivant, et je crois qu’il peut toucher les gens émotionnellement tout en ouvrant une réflexion plus large sur la société et nos manières d’exister. Plus généralement, ma pratique interroge notre relation à la magie, à l’inconscient et au soin.
Il y a quelque chose de presque rituel dans la façon dont vous décrivez ce processus de guérison et de transformation. Est-ce une dimension que vous envisagez consciemment dans vos créations ?
Oui, elles portent sans aucun doute une charge émotionnelle. Cette dimension rituelle était particulièrement présente dans la performance créée avec Florence Cats pour Incantations. Certaines bulles en verre, contenant des potions, renfermaient de l’eau qui réagissait au champ électromagnétique de son thérémine. C’était un moment véritablement intense…
Qu’aimeriez-vous que les visiteurs retiennent après avoir découvert votre travail dans Capsules ?
C’est une question difficile… Peut-être que leur curiosité aura été suffisamment éveillée pour leur donner envie de suivre mes prochains projets ! (rires)